loading... 

Illettrisme, définitions et référentiels

Illettrisme d’aujourd’hui et de demain : quelles sont les compétences de base nécessaires pour l’autonomie en 2030 ? Faut-il un nouveau référentiel ?

Temps de lecture : 14 minutes


En 2003, l’ANLCI publiait le cadre national de référence de la lutte contre l’illettrisme dans notre pays. Elle y définissait l’illettrisme et les 4 degrés « permettant de graduer l’avancée vers la maîtrise des compétences de base » (Lutter ensemble contre l’illettrisme, cadre national de référence, p.30).

20 ans après, les évolutions de notre société nous conduisent à nous réinterroger sur ce que signifie aujourd’hui et ce que signifiera demain « la base de la base » et de quelles compétences se compose et se composera demain « le socle fonctionnel regroupant les compétences nécessaires à la vie courante » (Lutter ensemble contre l’illettrisme, cadre national de référence, p.29). On pense notamment à la colonisation de notre quotidien par les outils numériques qui nécessite la maîtrise de nouvelles compétences pour être autonome dans notre vie quotidienne, sociale et professionnelle. Ces compétences doivent-elles s’intégrer dans le socle fonctionnel ? La « base de la base » est-elle impactée par ces évolutions ? Quel est aujourd’hui et quel sera demain le seuil de sortie de l’illettrisme ?


Quelles sont les compétences de base nécessaires pour l’autonomie en 2030 ?

Marc FONTANIE - Consultant, Gérant d’Antipodes Ingénierie

Pascal MOULETTE - Maître de Conférences en Sciences de Gestion à l’Université Lumière Lyon 2


Dès sa création en 2000, l’ANLCI s’est attelée à formuler une définition de l’illettrisme qui a permis notamment de distinguer plus clairement l’illettrisme des situations d’analphabétisme ou encore des situations dites de Français Langue Etrangère.

L’illettrisme décrit la situation de toutes celles et tous ceux qui, après avoir été scolarisés(e)s en langue française, ne disposent pas des compétences de base nécessaires en lecture, écriture, calcul, numérique, pour être autonomes dans des situations simples de la vie quotidienne.

Cette définition a été consolidée en 2003 avec la diffusion par l’ANLCI du Cadre National de Référence qui propose alors quatre degrés jalonnant l’avancée vers la maîtrise des compétences de base (cf encadré).

Les « situations d’illettrisme » sont alors caractérisées par la non-maîtrise des repères du premier palier et des compétences du palier 2.

Ces deux paliers permettent de tracer le périmètre d’un socle fonctionnel centré sur le rapport à l’écrit.


En 2020, en formalisant la démarche DUPLEX, l’ANLCI a élargi ce socle fonctionnel de compétences en intégrant la maîtrise de l’usage de base des technologies numériques pour apprendre, travailler et participer à la société.

Les évolutions de la société, notamment l’omniprésence de la digitalisation, ont imposé comme une évidence cette évolution du socle fonctionnel.


Si le cadre avec les intitulés des 4 degrés restent valides, on voit bien que des évolutions sont à intégrer dans leur définition lorsque :

Des domaines de compétences nouveaux s’imposent du fait d’évolutions sociétales : le numérique ces dernières années… Actuellement les compétences « vertes », les comportements éco-responsables liés à la nécessaire transition écologique dans notre vie tant personnelle que professionnelle… et demain ?

Des compétences glissent progressivement d’un niveau supérieur vers les attendus de base quand le degré de maîtrise attendu se renforce ou que les contextes de mise en œuvre se complexifient.

Voici, de façon non-exhaustive, un petit inventaire organisé (de manière arbitraire) de référentiels en lien avec les compétences de base que nous avons identifiés :

Des référentiels de savoirs de base comme :
- Former les publics peu qualifiés - Référentiel de Colette DARTOIS
- …

Des Référentiels de compétences de base comme :
- Le Référentiel de compétences clés de l’Europe
- Le socle commun de connaissances, de compétences et de culture - Education Nationale
- Le Socle commun de connaissances et de compétences professionnelles duquel est dérivé le référentiel de Certification CléA
- …

Des Référentiels portant sur un seul domaine de compétences de base comme :
- Le référentiel de compétences mathématiques Compter de JP LECLER et MA GIRODET
- Le référentiel de certification des compétences numérique CLéA numérique
- …

Des référentiels de compétences numériques, comportant des compétences de base comme :
- DIGCOMP - EU
- PIX
- …

Des référentiels de compétences langagières, comportant des compétences de base, comme :
- Le cadre Européen Commun de Référence pour les Langues
- …

Des Référentiels de compétences transversales comme :
- RECTEC et RECTEC +
- …

Un cadre référentiel permettant d’analyser des situations et de générer des référentiels de compétences de base, le RCCSP (Référentiel des Compétences Clés en Situation Professionnelle) de l’ANLCI.

QUELQUES PRÉCISIONS SÉMANTIQUES

Pour définir les compétences de base et réfléchir à l’opportunité de développer ou de rénover un référentiel de compétences, il nous semble important d’apporter quelques précisions. A l’instar de différents travaux scientifiques (Jonnaert, Le Boterf, Tardif, …) qui ont tendance à faire consensus, ou a minima, à rassembler le plus grand nombre de chercheurs, nous considérons que la compétence a trois caractéristiques indissociables : elle est reliée à une action en situation, elle est observable et elle implique une réflexion. Par extension, une capacité n’est pas observable ; « connaître » ou « comprendre » ne sont pas des verbes d’action ; l’apprentissage d’une compétence est nécessairement un processus cognitif qui mobilise des ressources (savoirs ou connaissances par exemple). La compétence analysée comme capacité, comme savoir, comme savoir-agir, ou comme ensemble de savoirs, ne permet donc pas de traduire la réalité de cette notion.

Les 4 degrés du CNR

FAUT-IL UN NOUVEAU RÉFÉRENTIEL ?

Petit tour d’horizon de référentiels dans notre champ de vision.

ALORS FAUT-IL UN NOUVEAU RÉFÉRENTIEL ?

Dans un premier questionnement, nous avons proposé d’identifier les compétences qui composent le socle nécessaire à l’autonomie et au cœur de ce socle, nous avons interrogé l’existence d’un cœur de compétences.

Un référentiel décrivant les ressources (savoirs, connaissances) à mobiliser pour mettre en œuvre ces compétences au cœur du socle fonctionnel serait-il utile ?

Que devrait-il proposer pour être appréhendable par le plus grand nombre ?

Le RCCSP, une démarche et un outil d’analyse des situations qui pourrait être réinvestis ?

En proposant une démarche référentielle plus qu’un véritable référentiel, le RCCSP a permis de mettre en œuvre quantité d’ingénierie qui ont donné lieu à des dispositifs de formation en entreprise d’un genre nouveau (à l’époque).

Serait-il utile de réinvestir un cadre de cette nature pour proposer une démarche d’analyse des situations de la vie quotidienne, professionnelle, citoyenne… afin d’identifier les compétences de base qu’elles mobilisent, le degré de maîtrise nécessaires à l’autonomie et ainsi définir les besoins en accompagnement des personnes en situation d’illettrisme ?


inline Rectangle

Pour aller plus loin, un rapide tour d’horizon des définitions et référentiels d’ici et d’ailleurs



Lutte contre l’illettrisme et literacy : seulement une question de langage ?

La façon dont nous concevons l’illettrisme est une approche très française qui résulte à la fois de la logique de construction de ce problème social en France (Blum et Guérin-Pace, 2000 ; Lahire, 2016), mais aussi de son association avec la lutte contre l’exclusion. Une des incongruités de ce concept est que son contraire n’existe pas dans la langue française ; un lettré n’étant pas le contraire d’un illettré.

Dans les forums mondiaux, le terme de literacy s’est plutôt imposé, qui n’a pas d’équivalent français. On peut voir à ce propos la gymnastique langagière imposée lors de la publication des résultats de l’enquête internationale sur l’éducation des adultes (PIAAC) de l’OCDE en France par l’Insee. Ne pouvant utiliser les termes de “littéracie” ni de “numératie” qui seraient des anglicismes, l’auteur de la note a dû recourir à des périphrases : “le domaine de l’écrit” et “le domaine des chiffres”. (Jonas, 2013)), maladroitement traduit par alphabétisme ou, dans certains cas, par alphabétisme fonctionnel. La définition de la literacy est présentée dans la recommandation de l’UNESCO sur l’apprentissage et l’éducation des adultes (RALE, acronyme anglais), adoptée en 2015 (UIL, 2016).


« Elle consiste en un continuum d’apprentissage et d’acquisition de compétences qui permet aux citoyens d’apprendre en continu et de participer pleinement à la vie de la communauté, du lieu de travail et de la société en général. Elle inclut l’aptitude à lire et à écrire, à identifier, à comprendre, à interpréter, à créer, à communiquer et à calculer en utilisant des supports imprimés et écrits, ainsi que l’aptitude à résoudre des problèmes dans un environnement de plus en plus technologique et riche en informations. (RALE – p.6) »


Plutôt que de proposer une vision dichotomique opposant les illettrés et les non-illettrés, cette définition voit donc la literacy comme un continuum. Les adultes qui nécessitent une intervention pédagogique (qu’on appellerait donc illettrés en France) ne sont ainsi pas définis par ce qu’ils ne savent pas, mais par un niveau de compétence qu’ils ont tout de même atteint même si celui-ci n’est pas suffisant pour être pleinement autonome dans le monde contemporain.

Cette nuance n’est pas qu’une simple précaution de langage, elle a des conséquences pratiques. D’une part elle signifie que les programmes de lutte contre l’illettrisme doivent s’appuyer sur ce que les bénéficiaires savent déjà. D’autre part, elle implique que le niveau de maîtrise de compétence nécessaire pour être autonome varie d’un individu à l’autre, selon ses objectifs ou selon le contexte dans lequel il évolue. Enfin, cette nuance porte en elle la volonté de lutter contre le stigmate que le terme illettré peut porter. Plutôt que de lutter contre l’illettrisme, il s’agit de lutter en faveur de la literacy.


Des compétences pour quoi faire ?

Dans la foulée des travaux de l’OCDE, l’objectif de la lutte contre l’illettrisme connait une tendance à glisser de son objectif initial de lutte contre l’exclusion sociale vers la lutte contre l’inemployabilité et à prendre place dans des “stratégies pour les compétences” plus larges. Cette tendance s’observe aussi bien en France (Ben Mezian, Garner et Naboulet, 2017) qu’en Europe (Commission Européenne, 2020) ou qu’au niveau mondial (ILO, 2023). Fournir aux adultes les compétences de base relève donc de la volonté d’améliorer leur intégration sur le marché du travail. S’il est vrai que les formations professionnelles et continues sont les enseignements formels et non-formels dans lesquelles s’engagent le plus souvent les adultes (UIL, 2022a) et que l’accès à un travail décent est un aspect essentiel de la lutte contre l’exclusion sociale, ce glissement soulève néanmoins plusieurs problèmes :

1. En donnant la priorité au dynamisme du marché du travail, ce glissement passe sous silence la plupart des situations où la maîtrise insuffisante des compétences de base produit des effets qui mettent en danger la cohésion et la soutenabilité de nos sociétés. La lutte contre l’illettrisme a également des conséquences sur la participation informée des citoyens au débat démocratique, ou encore sur la santé publique (accès aux services de soin, compréhension des enjeux de santé...), pour ne citer que quelques exemples.

2. Il exclut par définition les inactifs et, plus particulièrement les personnes les plus âgées, du champ des interventions. Si on prend l’exemple de l’illettrisme numérique, cette exclusion pose de nombreux défis : l’utilisation de nombreuses applications sur smartphones pour des services usuels (comme les services bancaires), la généralisation des identifiants à deux facteurs, la migration des services publics en ligne… Autant de changements récents qui impliquent une maîtrise minimum non seulement des fonctionnalités digitales, mais aussi de la façon d’acquérir et d’interagir avec l’information sous forme digitale. Plusieurs pays sont aujourd’hui confrontés à la nécessité de mettre en place des programmes dédiés aux personnes âgées, en mêlant literacy et digital literacy pour s’assurer que les transitions technologiques ne soient pas des facteurs supplémentaires d’exclusion.

3. Il met l’accent sur des compétences techniques, qui peuvent sembler émergentes et prometteuses pour l’avenir, mais dont l’importance pour le futur du marché du travail repose sur des anticipations hasardeuses.

Contre ce glissement, l’UNESCO défend une approche humaniste de la literacy. En tant que composante essentielle de l’éducation et de l’apprentissage des adultes, la literacy a pour « but de doter les individus des capacités dont ils ont besoin pour exercer leurs droits et prendre leur destin en main. [Elle] favorise le développement personnel et professionnel, aidant ainsi les adultes à participer plus activement à la vie de leur société, de leur communauté et de leur environnement » (RALE, p.7).


Quelles compétences pour une autonomie fonctionnelle ?

Un autre point important que l’on peut tirer des textes internationaux est le rôle toujours crucial qui est accordé aux compétences fondamentales. Dans le cadre d’action de Marrakech (UIL, 2022b), adopté à l’issue de la 7ème Conférence Internationale sur l’Education des Adultes

(CONFINTEA VII), les 146 pays signataires reconnaissent que l’éducation pour adulte a un rôle prépondérant à jouer pour faire face aux multiples défis du monde contemporain. En contribuant à faire des adultes des apprenants tout au long de la vie, l’éducation pour adulte aide les individus, non seulement à s’adapter aux changements rapides auxquels nous sommes confrontés, mais, plus fondamentalement, à devenir des acteurs de ces changements et à réaliser pleinement leur potentiel pour eux-mêmes, pour leur communauté et pour la société dans laquelle ils vivent. Cependant, ce rôle transformateur de l’éducation pour adulte ne peut être accompli que si, et seulement si, les compétences fondamentales sont acquises au préalable. Autrement dit, la lutte contre l’illettrisme doit rester et demeurer l’axe d’intervention prioritaire de l’action publique en faveur de l’éducation des adultes.

La question de savoir s’il faut créer de nouvelles définitions pour rendre compte des différentes dimensions de l’autonomie fonctionnelle et donc pour caractériser les difficultés rencontrées, par exemple, en calcul (innumérisme) ou dans l’utilisation des outils digitaux (illectronisme) n’a pas de sens dans la vision de l’UNESCO. Toutes ces dimensions sont déjà comprises dans la définition de la literacy. La question est donc de savoir dans quelle mesure les adultes peuvent lire, comprendre, et utiliser des informations écrites dans différent domaines (personnel, professionnel, politique) quelle que soit la nature de cette information et quel que soit son support.

Par ailleurs, les enquêtes internationales les plus récentes laissent à penser que les compétences techniques ne sont pas celles qui sont les plus recherchées par les employeurs (World Economic Forum, 2023). Comme l’illustre le graphique ci-joint, ceux-ci considèrent toujours les compétences cognitives comme étant le socle nécessaire aux travailleurs d’aujourd’hui : si la capacité à lire, écrire et compter n’apparaît qu’à la 16ème place (ce qui est déjà remarquable) des compétences les plus fondamentales, les deux premières sont occupées par les compétences analytiques (analytical thinking) et les compétences créatives (creative thinking).


inline Rectangle Un autre point à souligner est que les compétences socio-émotionnelles (ou soft-skills) sont également de plus en plus déterminantes, à la fois dans la vie professionnelle et dans la vie personnelle.

C’est sans doute un élément important à prendre en compte pour redéfinir les seuils d’autonomie dans la lutte contre l’illettrisme. Car, au-delà de la maîtrise de l’écrit, du calcul ou de l’information numérique, la disposition à mettre en œuvre ces compétences, et la capacité à les utiliser à bon escient sont des facteurs déterminants de la prise de décision autonome.


Quelles ressources pour lutter contre l’illettrisme ?

Une surenchère des référentiels

De nombreux référentiels sont aujourd’hui disponibles pour caractériser et décrire les compétences-clés, dans différents domaines, et avec différents degrés de contextualisation (cf. la liste dressée par Marc Fontanié et Pascal Moulette dans le document 1). Cette liste serait encore plus longue si on recensait les référentiels développés dans d’autres pays (Australie, Canada, etc.), ou par d’autres acteurs (ONG, organisations internationales, employeurs). Plutôt que de dupliquer les efforts, il serait sans doute plus productif soit de réaliser un travail de synthèse de ces référentiels, soit d’évaluer dans quelles mesures ces cadres de références sont utilisés.

Par ailleurs, face à cette surenchère des référentiels que les formateurs pour adultes doivent intégrer, il n’y a pas, ou peu, de référentiel décrivant les compétences que ces formateurs doivent eux-mêmes posséder. Une option possible serait non seulement de produire un tel référentiel harmonisé mais aussi de l’opérationnaliser en développant un référentiel pédagogique qui servirait de base à la formation des éducateurs. Un exemple de bonne pratique dans ce domaine est celui du « Curriculum GlobALE » (DVV International, 2021) développé par l’institut de coopération international de l’association allemande d’éducation pour adultes. Le curriculum GlobALE est un référentiel pédagogique conçu en modules optionnels qui peuvent être utilisés pour structurer une formation initiale ou continue des formateurs pour adultes. Il décrit les compétences nécessaires pour diriger des cours avec succès et fournit des conseils sur leur mise en œuvre pratique. Son caractère modulaire est particulièrement intéressant, dans la mesure où il permet :

1. d’utiliser seulement les modules que l’on souhaite intégrer dans des formations spécifiques (par exemple, si les éducateurs interviennent dans le cadre de formation en entreprise) et

2. de développer de nouveaux modules pour répondre aux évolutions de la réalité de l’illettrisme.


Vers la professionnalisation des formateurs en charge de la lutte contre l’illettrisme

Cette interrogation nous amène directement à la question de la formation et de la professionnalisation des formateurs pour adultes. Pour la mise en œuvre systématique d’un cadre de référence, la première condition est de mettre en place des systèmes de formation initiale et continue des formateurs pour adultes en charge de la lutte contre l’illettrisme qui soient, dans une certaine mesure, standardisés. Des efforts sont accomplis en ce sens par l’UIL pour tenter d’intégrer le métier de « literacy educator » dans les classifications internationales pour lui donner un statut officiel, reconnaitre ses spécificités professionnelles, standardiser les filières de formation d’accès à ce métier et améliorer ses conditions d’exercice (contrats, rémunérations, etc.). A ce propos, on peut donner l’exemple du Maroc qui, avec la création de l’Institut de Formation aux Métiers de l’Alphabétisation (IFMA), co-financé par l’Union Européenne, propose un catalogue de formations (longues ou courtes selon les besoins) en différents formats (en personne, en ligne ou hybride) pour non seulement s’assurer de la qualité de la formation des formateurs et des opérateurs, mais, plus fondamentalement, pour répondre aux besoins spécifiques des formateurs qui doivent continuellement se former pour faire face à la diversité et à l’évolutivité des populations touchées par l’illettrisme.


inline Rectangle



Bibliographie

Ben Mezian, M., Garner, H. et Naboulet, A., 2017. Elaborer une stratégie nationale de compétences Paris : France Stratégie.

Blum, A. et Guérin-Pace, F., 2000. Des lettres et des chiffres : des tests d’intelligence à l’évaluation du savoir lire, un siècle de polémiques. Paris : Fayard.

Commission Européenne, 2020. Stratégie européenne en matière de compétences en faveur de la compétitivité durable, de l’équité sociale et de la résilience. Bruxelles : Commission Européenne.

DVV International, 2021. Curriculum globALE: competency framework for adult educators. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000377422.

International Labour Organization, 2023. World employment and social outlook: Trends 2023. 1st ed. ed. Geneva : ILO.

Jonas, N., 2013. Les capacités des adultes à maîtriser des informations écrites ou chiffrées. Résultats de l’enquête PIAAC 2012. Insee Première n°1467. Malakoff : INSEE.

Lahire, B., 2016. L’invention de l’»illettrisme»: rhétorique publique, éthique et stigmates. Paris : Ed. La Découverte.

UIL, 2016. Recommandation sur l’apprentissage et l’éducation des adultes. Paris : UNESCO.

UIL, 2022a. 5th global report on adult learning and education: citizenship education: empowering adults for change. Hambourg : UNESCO Institute for Lifelong Learning.

UIL, 2022b. CONFINTEA VII : Cadre d’action de Marrakech. Exploiter le pouvoir de transformation de l’apprentissage et de l’éducation des adultes. Paris : UNESCO.

World Economic Forum, 2023. Future of Jobs Report 2023. Insight Report. Genève : World Economic Forum.

Degré 1

Repères structurants

Compétences permettant, de se repérer dans l’univers de l’écrit (identification des signes et des mots), dans l’univers des nombres (base de la numération), dans l’espace et dans le temps, de participer à des échanges oraux avec des questions/réponses simples, etc.

Degré 2

Compétences fonctionnelles pour la vie courante

Compétences permettant, dans un environnement familier, de lire et d’écrire des phrases simples, de trouver des informations dans des documents courants, de donner et de prendre des informations orales lors d’un entretien, de résoudre des problèmes de la vie quotidienne nécessitant des calculs simples, etc.

Les personnes concernées s’acheminent vers la mise en place de savoir-faire d’ordre linguistique, cognitif, mathématique, mais ceux-ci sont encore étroitement finalisés sur les situations pratiques de leur vie quotidienne.

Degré 3

Compétences facilitant l’action dans des situations variées

Ces compétences permettent de lire et d’écrire des textes courts, d’argumenter, de résoudre des problèmes plus complexes, d’utiliser plus largement des supports numériques etc.

Il s’agit d’aller au-delà du pragmatisme quotidien et de se diriger vers plus de distanciation, de transversalité, d’automatisation, vers une appropriation croissante des codes (règles orthographiques, registres de langue…) vers un usage plus systématique d’outils d’appréhension du réel (tableaux, graphiques, schémas…). Le degré trois est proche du niveau du certificat de formation générale.

Degré 4

Compétences renforçant l‘autonomie pour agir dans la société de la connaissance

Ce degré regroupe l’ensemble des compétences nécessaires pour être à l’aise dans la société, s’adapter aux évolutions et continuer à se former. Il correspond au bagage de fin de scolarité obligatoire. Le degré quatre est proche des exigences de formation générale des qualifications de niveau V (CAP, BEP, Brevet des collèges, etc.).

Polygon
 
 
 

Illettrisme, définitions et référentiels

Illettrisme d’aujourd’hui et de demain : quelles sont les compétences de base nécessaires pour l’autonomie en 2030 ? Faut-il un nouveau référentiel ?

Temps de lecture : 14 minutes


En 2003, l’ANLCI publiait le cadre national de référence de la lutte contre l’illettrisme dans notre pays. Elle y définissait l’illettrisme et les 4 degrés « permettant de graduer l’avancée vers la maîtrise des compétences de base » (Lutter ensemble contre l’illettrisme, cadre national de référence, p.30).

20 ans après, les évolutions de notre société nous conduisent à nous réinterroger sur ce que signifie aujourd’hui et ce que signifiera demain « la base de la base » et de quelles compétences se compose et se composera demain « le socle fonctionnel regroupant les compétences nécessaires à la vie courante » (Lutter ensemble contre l’illettrisme, cadre national de référence, p.29). On pense notamment à la colonisation de notre quotidien par les outils numériques qui nécessite la maîtrise de nouvelles compétences pour être autonome dans notre vie quotidienne, sociale et professionnelle. Ces compétences doivent-elles s’intégrer dans le socle fonctionnel ? La « base de la base » est-elle impactée par ces évolutions ? Quel est aujourd’hui et quel sera demain le seuil de sortie de l’illettrisme ?


Quelles sont les compétences de base nécessaires pour l’autonomie en 2030 ?

Marc FONTANIE - Consultant, Gérant d’Antipodes Ingénierie

Pascal MOULETTE - Maître de Conférences en Sciences de Gestion à l’Université Lumière Lyon 2


Dès sa création en 2000, l’ANLCI s’est attelée à formuler une définition de l’illettrisme qui a permis notamment de distinguer plus clairement l’illettrisme des situations d’analphabétisme ou encore des situations dites de Français Langue Etrangère.

L’illettrisme décrit la situation de toutes celles et tous ceux qui, après avoir été scolarisés(e)s en langue française, ne disposent pas des compétences de base nécessaires en lecture, écriture, calcul, numérique, pour être autonomes dans des situations simples de la vie quotidienne.

Cette définition a été consolidée en 2003 avec la diffusion par l’ANLCI du Cadre National de Référence qui propose alors quatre degrés jalonnant l’avancée vers la maîtrise des compétences de base (cf encadré).

Les « situations d’illettrisme » sont alors caractérisées par la non-maîtrise des repères du premier palier et des compétences du palier 2.

Ces deux paliers permettent de tracer le périmètre d’un socle fonctionnel centré sur le rapport à l’écrit.


En 2020, en formalisant la démarche DUPLEX, l’ANLCI a élargi ce socle fonctionnel de compétences en intégrant la maîtrise de l’usage de base des technologies numériques pour apprendre, travailler et participer à la société.

Les évolutions de la société, notamment l’omniprésence de la digitalisation, ont imposé comme une évidence cette évolution du socle fonctionnel.


Si le cadre avec les intitulés des 4 degrés restent valides, on voit bien que des évolutions sont à intégrer dans leur définition lorsque :

Des domaines de compétences nouveaux s’imposent du fait d’évolutions sociétales : le numérique ces dernières années… Actuellement les compétences « vertes », les comportements éco-responsables liés à la nécessaire transition écologique dans notre vie tant personnelle que professionnelle… et demain ?

Des compétences glissent progressivement d’un niveau supérieur vers les attendus de base quand le degré de maîtrise attendu se renforce ou que les contextes de mise en œuvre se complexifient.

Les 4 degrés du CNR

Degré 1

Repères structurants

Compétences permettant, de se repérer dans l’univers de l’écrit (identification des signes et des mots), dans l’univers des nombres (base de la numération), dans l’espace et dans le temps, de participer à des échanges oraux avec des questions/réponses simples, etc.

Degré 2

Compétences fonctionnelles pour la vie courante

Compétences permettant, dans un environnement familier, de lire et d’écrire des phrases simples, de trouver des informations dans des documents courants, de donner et de prendre des informations orales lors d’un entretien, de résoudre des problèmes de la vie quotidienne nécessitant des calculs simples, etc.

Les personnes concernées s’acheminent vers la mise en place de savoir-faire d’ordre linguistique, cognitif, mathématique, mais ceux-ci sont encore étroitement finalisés sur les situations pratiques de leur vie quotidienne.

Degré 3

Compétences facilitant l’action dans des situations variées

Ces compétences permettent de lire et d’écrire des textes courts, d’argumenter, de résoudre des problèmes plus complexes, d’utiliser plus largement des supports numériques etc.

Il s’agit d’aller au-delà du pragmatisme quotidien et de se diriger vers plus de distanciation, de transversalité, d’automatisation, vers une appropriation croissante des codes (règles orthographiques, registres de langue…) vers un usage plus systématique d’outils d’appréhension du réel (tableaux, graphiques, schémas…). Le degré trois est proche du niveau du certificat de formation générale.

Degré 4

Compétences renforçant l‘autonomie pour agir dans la société de la connaissance

Ce degré regroupe l’ensemble des compétences nécessaires pour être à l’aise dans la société, s’adapter aux évolutions et continuer à se former. Il correspond au bagage de fin de scolarité obligatoire. Le degré quatre est proche des exigences de formation générale des qualifications de niveau V (CAP, BEP, Brevet des collèges, etc.).

FAUT-IL UN NOUVEAU RÉFÉRENTIEL ?

Petit tour d’horizon de référentiels dans notre champ de vision.

Voici, de façon non-exhaustive, un petit inventaire organisé (de manière arbitraire) de référentiels en lien avec les compétences de base que nous avons identifiés :

Des référentiels de savoirs de base comme :
- Former les publics peu qualifiés - Référentiel de Colette DARTOIS
- …

Des Référentiels de compétences de base comme :
- Le Référentiel de compétences clés de l’Europe
- Le socle commun de connaissances, de compétences et de culture - Education Nationale
- Le Socle commun de connaissances et de compétences professionnelles duquel est dérivé le référentiel de Certification CléA
- …

Des Référentiels portant sur un seul domaine de compétences de base comme :
- Le référentiel de compétences mathématiques Compter de JP LECLER et MA GIRODET
- Le référentiel de certification des compétences numérique CLéA numérique
- …

Des référentiels de compétences numériques, comportant des compétences de base comme :
- DIGCOMP - EU
- PIX
- …

Des référentiels de compétences langagières, comportant des compétences de base, comme :
- Le cadre Européen Commun de Référence pour les Langues
- …

Des Référentiels de compétences transversales comme :
- RECTEC et RECTEC +
- …

Un cadre référentiel permettant d’analyser des situations et de générer des référentiels de compétences de base, le RCCSP (Référentiel des Compétences Clés en Situation Professionnelle) de l’ANLCI.

QUELQUES PRÉCISIONS SÉMANTIQUES

Pour définir les compétences de base et réfléchir à l’opportunité de développer ou de rénover un référentiel de compétences, il nous semble important d’apporter quelques précisions. A l’instar de différents travaux scientifiques (Jonnaert, Le Boterf, Tardif, …) qui ont tendance à faire consensus, ou a minima, à rassembler le plus grand nombre de chercheurs, nous considérons que la compétence a trois caractéristiques indissociables : elle est reliée à une action en situation, elle est observable et elle implique une réflexion. Par extension, une capacité n’est pas observable ; « connaître » ou « comprendre » ne sont pas des verbes d’action ; l’apprentissage d’une compétence est nécessairement un processus cognitif qui mobilise des ressources (savoirs ou connaissances par exemple). La compétence analysée comme capacité, comme savoir, comme savoir-agir, ou comme ensemble de savoirs, ne permet donc pas de traduire la réalité de cette notion.

ALORS FAUT-IL UN NOUVEAU RÉFÉRENTIEL ?

Dans un premier questionnement, nous avons proposé d’identifier les compétences qui composent le socle nécessaire à l’autonomie et au cœur de ce socle, nous avons interrogé l’existence d’un cœur de compétences.

Un référentiel décrivant les ressources (savoirs, connaissances) à mobiliser pour mettre en œuvre ces compétences au cœur du socle fonctionnel serait-il utile ?

Que devrait-il proposer pour être appréhendable par le plus grand nombre ?

Le RCCSP, une démarche et un outil d’analyse des situations qui pourrait être réinvestis ?

En proposant une démarche référentielle plus qu’un véritable référentiel, le RCCSP a permis de mettre en œuvre quantité d’ingénierie qui ont donné lieu à des dispositifs de formation en entreprise d’un genre nouveau (à l’époque).

Serait-il utile de réinvestir un cadre de cette nature pour proposer une démarche d’analyse des situations de la vie quotidienne, professionnelle, citoyenne… afin d’identifier les compétences de base qu’elles mobilisent, le degré de maîtrise nécessaires à l’autonomie et ainsi définir les besoins en accompagnement des personnes en situation d’illettrisme ?


inline Rectangle

Pour aller plus loin, un rapide tour d’horizon des définitions et référentiels d’ici et d’ailleurs



Lutte contre l’illettrisme et literacy : seulement une question de langage ?

La façon dont nous concevons l’illettrisme est une approche très française qui résulte à la fois de la logique de construction de ce problème social en France (Blum et Guérin-Pace, 2000 ; Lahire, 2016), mais aussi de son association avec la lutte contre l’exclusion. Une des incongruités de ce concept est que son contraire n’existe pas dans la langue française ; un lettré n’étant pas le contraire d’un illettré.

Dans les forums mondiaux, le terme de literacy s’est plutôt imposé, qui n’a pas d’équivalent français. On peut voir à ce propos la gymnastique langagière imposée lors de la publication des résultats de l’enquête internationale sur l’éducation des adultes (PIAAC) de l’OCDE en France par l’Insee. Ne pouvant utiliser les termes de “littéracie” ni de “numératie” qui seraient des anglicismes, l’auteur de la note a dû recourir à des périphrases : “le domaine de l’écrit” et “le domaine des chiffres”. (Jonas, 2013)), maladroitement traduit par alphabétisme ou, dans certains cas, par alphabétisme fonctionnel. La définition de la literacy est présentée dans la recommandation de l’UNESCO sur l’apprentissage et l’éducation des adultes (RALE, acronyme anglais), adoptée en 2015 (UIL, 2016).


« Elle consiste en un continuum d’apprentissage et d’acquisition de compétences qui permet aux citoyens d’apprendre en continu et de participer pleinement à la vie de la communauté, du lieu de travail et de la société en général. Elle inclut l’aptitude à lire et à écrire, à identifier, à comprendre, à interpréter, à créer, à communiquer et à calculer en utilisant des supports imprimés et écrits, ainsi que l’aptitude à résoudre des problèmes dans un environnement de plus en plus technologique et riche en informations. (RALE – p.6) »


Plutôt que de proposer une vision dichotomique opposant les illettrés et les non-illettrés, cette définition voit donc la literacy comme un continuum. Les adultes qui nécessitent une intervention pédagogique (qu’on appellerait donc illettrés en France) ne sont ainsi pas définis par ce qu’ils ne savent pas, mais par un niveau de compétence qu’ils ont tout de même atteint même si celui-ci n’est pas suffisant pour être pleinement autonome dans le monde contemporain.

Cette nuance n’est pas qu’une simple précaution de langage, elle a des conséquences pratiques. D’une part elle signifie que les programmes de lutte contre l’illettrisme doivent s’appuyer sur ce que les bénéficiaires savent déjà. D’autre part, elle implique que le niveau de maîtrise de compétence nécessaire pour être autonome varie d’un individu à l’autre, selon ses objectifs ou selon le contexte dans lequel il évolue. Enfin, cette nuance porte en elle la volonté de lutter contre le stigmate que le terme illettré peut porter. Plutôt que de lutter contre l’illettrisme, il s’agit de lutter en faveur de la literacy.


Des compétences pour quoi faire ?

Dans la foulée des travaux de l’OCDE, l’objectif de la lutte contre l’illettrisme connait une tendance à glisser de son objectif initial de lutte contre l’exclusion sociale vers la lutte contre l’inemployabilité et à prendre place dans des “stratégies pour les compétences” plus larges. Cette tendance s’observe aussi bien en France (Ben Mezian, Garner et Naboulet, 2017) qu’en Europe (Commission Européenne, 2020) ou qu’au niveau mondial (ILO, 2023). Fournir aux adultes les compétences de base relève donc de la volonté d’améliorer leur intégration sur le marché du travail. S’il est vrai que les formations professionnelles et continues sont les enseignements formels et non-formels dans lesquelles s’engagent le plus souvent les adultes (UIL, 2022a) et que l’accès à un travail décent est un aspect essentiel de la lutte contre l’exclusion sociale, ce glissement soulève néanmoins plusieurs problèmes :

1. En donnant la priorité au dynamisme du marché du travail, ce glissement passe sous silence la plupart des situations où la maîtrise insuffisante des compétences de base produit des effets qui mettent en danger la cohésion et la soutenabilité de nos sociétés. La lutte contre l’illettrisme a également des conséquences sur la participation informée des citoyens au débat démocratique, ou encore sur la santé publique (accès aux services de soin, compréhension des enjeux de santé...), pour ne citer que quelques exemples.

2. Il exclut par définition les inactifs et, plus particulièrement les personnes les plus âgées, du champ des interventions. Si on prend l’exemple de l’illettrisme numérique, cette exclusion pose de nombreux défis : l’utilisation de nombreuses applications sur smartphones pour des services usuels (comme les services bancaires), la généralisation des identifiants à deux facteurs, la migration des services publics en ligne… Autant de changements récents qui impliquent une maîtrise minimum non seulement des fonctionnalités digitales, mais aussi de la façon d’acquérir et d’interagir avec l’information sous forme digitale. Plusieurs pays sont aujourd’hui confrontés à la nécessité de mettre en place des programmes dédiés aux personnes âgées, en mêlant literacy et digital literacy pour s’assurer que les transitions technologiques ne soient pas des facteurs supplémentaires d’exclusion.

3. Il met l’accent sur des compétences techniques, qui peuvent sembler émergentes et prometteuses pour l’avenir, mais dont l’importance pour le futur du marché du travail repose sur des anticipations hasardeuses.

Contre ce glissement, l’UNESCO défend une approche humaniste de la literacy. En tant que composante essentielle de l’éducation et de l’apprentissage des adultes, la literacy a pour « but de doter les individus des capacités dont ils ont besoin pour exercer leurs droits et prendre leur destin en main. [Elle] favorise le développement personnel et professionnel, aidant ainsi les adultes à participer plus activement à la vie de leur société, de leur communauté et de leur environnement » (RALE, p.7).


Quelles compétences pour une autonomie fonctionnelle ?

Un autre point important que l’on peut tirer des textes internationaux est le rôle toujours crucial qui est accordé aux compétences fondamentales. Dans le cadre d’action de Marrakech (UIL, 2022b), adopté à l’issue de la 7ème Conférence Internationale sur l’Education des Adultes

(CONFINTEA VII), les 146 pays signataires reconnaissent que l’éducation pour adulte a un rôle prépondérant à jouer pour faire face aux multiples défis du monde contemporain. En contribuant à faire des adultes des apprenants tout au long de la vie, l’éducation pour adulte aide les individus, non seulement à s’adapter aux changements rapides auxquels nous sommes confrontés, mais, plus fondamentalement, à devenir des acteurs de ces changements et à réaliser pleinement leur potentiel pour eux-mêmes, pour leur communauté et pour la société dans laquelle ils vivent. Cependant, ce rôle transformateur de l’éducation pour adulte ne peut être accompli que si, et seulement si, les compétences fondamentales sont acquises au préalable. Autrement dit, la lutte contre l’illettrisme doit rester et demeurer l’axe d’intervention prioritaire de l’action publique en faveur de l’éducation des adultes.

La question de savoir s’il faut créer de nouvelles définitions pour rendre compte des différentes dimensions de l’autonomie fonctionnelle et donc pour caractériser les difficultés rencontrées, par exemple, en calcul (innumérisme) ou dans l’utilisation des outils digitaux (illectronisme) n’a pas de sens dans la vision de l’UNESCO. Toutes ces dimensions sont déjà comprises dans la définition de la literacy. La question est donc de savoir dans quelle mesure les adultes peuvent lire, comprendre, et utiliser des informations écrites dans différent domaines (personnel, professionnel, politique) quelle que soit la nature de cette information et quel que soit son support.

Par ailleurs, les enquêtes internationales les plus récentes laissent à penser que les compétences techniques ne sont pas celles qui sont les plus recherchées par les employeurs (World Economic Forum, 2023). Comme l’illustre le graphique ci-joint, ceux-ci considèrent toujours les compétences cognitives comme étant le socle nécessaire aux travailleurs d’aujourd’hui : si la capacité à lire, écrire et compter n’apparaît qu’à la 16ème place (ce qui est déjà remarquable) des compétences les plus fondamentales, les deux premières sont occupées par les compétences analytiques (analytical thinking) et les compétences créatives (creative thinking).


inline Rectangle Un autre point à souligner est que les compétences socio-émotionnelles (ou soft-skills) sont également de plus en plus déterminantes, à la fois dans la vie professionnelle et dans la vie personnelle.

C’est sans doute un élément important à prendre en compte pour redéfinir les seuils d’autonomie dans la lutte contre l’illettrisme. Car, au-delà de la maîtrise de l’écrit, du calcul ou de l’information numérique, la disposition à mettre en œuvre ces compétences, et la capacité à les utiliser à bon escient sont des facteurs déterminants de la prise de décision autonome.


Quelles ressources pour lutter contre l’illettrisme ?

Une surenchère des référentiels

De nombreux référentiels sont aujourd’hui disponibles pour caractériser et décrire les compétences-clés, dans différents domaines, et avec différents degrés de contextualisation (cf. la liste dressée par Marc Fontanié et Pascal Moulette dans le document 1). Cette liste serait encore plus longue si on recensait les référentiels développés dans d’autres pays (Australie, Canada, etc.), ou par d’autres acteurs (ONG, organisations internationales, employeurs). Plutôt que de dupliquer les efforts, il serait sans doute plus productif soit de réaliser un travail de synthèse de ces référentiels, soit d’évaluer dans quelles mesures ces cadres de références sont utilisés.

Par ailleurs, face à cette surenchère des référentiels que les formateurs pour adultes doivent intégrer, il n’y a pas, ou peu, de référentiel décrivant les compétences que ces formateurs doivent eux-mêmes posséder. Une option possible serait non seulement de produire un tel référentiel harmonisé mais aussi de l’opérationnaliser en développant un référentiel pédagogique qui servirait de base à la formation des éducateurs. Un exemple de bonne pratique dans ce domaine est celui du « Curriculum GlobALE » (DVV International, 2021) développé par l’institut de coopération international de l’association allemande d’éducation pour adultes. Le curriculum GlobALE est un référentiel pédagogique conçu en modules optionnels qui peuvent être utilisés pour structurer une formation initiale ou continue des formateurs pour adultes. Il décrit les compétences nécessaires pour diriger des cours avec succès et fournit des conseils sur leur mise en œuvre pratique. Son caractère modulaire est particulièrement intéressant, dans la mesure où il permet :

1. d’utiliser seulement les modules que l’on souhaite intégrer dans des formations spécifiques (par exemple, si les éducateurs interviennent dans le cadre de formation en entreprise) et

2. de développer de nouveaux modules pour répondre aux évolutions de la réalité de l’illettrisme.


Vers la professionnalisation des formateurs en charge de la lutte contre l’illettrisme

Cette interrogation nous amène directement à la question de la formation et de la professionnalisation des formateurs pour adultes. Pour la mise en œuvre systématique d’un cadre de référence, la première condition est de mettre en place des systèmes de formation initiale et continue des formateurs pour adultes en charge de la lutte contre l’illettrisme qui soient, dans une certaine mesure, standardisés. Des efforts sont accomplis en ce sens par l’UIL pour tenter d’intégrer le métier de « literacy educator » dans les classifications internationales pour lui donner un statut officiel, reconnaitre ses spécificités professionnelles, standardiser les filières de formation d’accès à ce métier et améliorer ses conditions d’exercice (contrats, rémunérations, etc.). A ce propos, on peut donner l’exemple du Maroc qui, avec la création de l’Institut de Formation aux Métiers de l’Alphabétisation (IFMA), co-financé par l’Union Européenne, propose un catalogue de formations (longues ou courtes selon les besoins) en différents formats (en personne, en ligne ou hybride) pour non seulement s’assurer de la qualité de la formation des formateurs et des opérateurs, mais, plus fondamentalement, pour répondre aux besoins spécifiques des formateurs qui doivent continuellement se former pour faire face à la diversité et à l’évolutivité des populations touchées par l’illettrisme.


inline Rectangle



Bibliographie

Ben Mezian, M., Garner, H. et Naboulet, A., 2017. Elaborer une stratégie nationale de compétences Paris : France Stratégie.

Blum, A. et Guérin-Pace, F., 2000. Des lettres et des chiffres : des tests d’intelligence à l’évaluation du savoir lire, un siècle de polémiques. Paris : Fayard.

Commission Européenne, 2020. Stratégie européenne en matière de compétences en faveur de la compétitivité durable, de l’équité sociale et de la résilience. Bruxelles : Commission Européenne.

DVV International, 2021. Curriculum globALE: competency framework for adult educators. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000377422.

International Labour Organization, 2023. World employment and social outlook: Trends 2023. 1st ed. ed. Geneva : ILO.

Jonas, N., 2013. Les capacités des adultes à maîtriser des informations écrites ou chiffrées. Résultats de l’enquête PIAAC 2012. Insee Première n°1467. Malakoff : INSEE.

Lahire, B., 2016. L’invention de l’»illettrisme»: rhétorique publique, éthique et stigmates. Paris : Ed. La Découverte.

UIL, 2016. Recommandation sur l’apprentissage et l’éducation des adultes. Paris : UNESCO.

UIL, 2022a. 5th global report on adult learning and education: citizenship education: empowering adults for change. Hambourg : UNESCO Institute for Lifelong Learning.

UIL, 2022b. CONFINTEA VII : Cadre d’action de Marrakech. Exploiter le pouvoir de transformation de l’apprentissage et de l’éducation des adultes. Paris : UNESCO.

World Economic Forum, 2023. Future of Jobs Report 2023. Insight Report. Genève : World Economic Forum.